Faire son deuil à l’autre bout du Monde

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Quand je suis partie pour Bali, je savais que j’en reviendrais changée. Je me vois encore la veille du départ, grignotant pour combler le stress, mon amoureux attablé avec moi. Je me revois lui dire « C’est sûr, ce voyage, ça va être un changement, soit je vais me rendre compte que voyager c’est pas tant mon truc que ça, soit je vais revenir encore plus addict, complètement changée ». Oui, je savais que j’allais revenir changée, je pensais revenir avec un autre regard sur le Monde et sur la vie. Et au final, malgré tout, c’est ce qui s’est passé.

La vie m’a fait un sacré coup de pute. Encore un. Et ma grande question aujourd’hui est celle ci: Comment faire quand la vie s’effondre chez nous et qu’on se trouve à l’autre bout du Monde? Comment aurais-je pu anticiper que la vie allait t’arracher à moi alors que je vivais certains des plus beaux jours de ma vie? Quand tu as rendu ton dernier souffle, je revenais d’une journée incroyable, de celle où tu dévores la vie à pleine dents sans en laisser une miette. Je mangeais sous un des plus beaux ciels étoilés du monde, et le bruit de fond, c’était de la musique balinaise avec quelques aboiements de chiens sauvages.

Les jours passèrent. Puis il y eu les poissons, l’eau cristalline et les temples sous marins. Et le téléphone.

Imagine un peu la claque.

Toi qui était un grand voyageur, un amoureux des autres, qu’aurais-tu fait à ma place? Aurais-tu eu la larme facile, au point de te transformer, comme moi, en véritable cascade tropicale? Serais-tu rentré, ou aurais-tu continuer ta route le cœur lourd mais l’esprit libre?

Le décalage horaire me persuadait d’une simple chose, tandis que mes amis au pays noyaient leurs chagrins dans le sommeil, tu avais tout le temps de rejeter ton attention sur nous qui regardions, les yeux rougis, le soleil se lever.

On a parlé de toi avec des indonésiens, des voyageurs, des gens de tout âge et de toutes croyances (m’en veut pas, fallait que ça sorte), je me suis rendue compte que c’est une situation qui arrivait à beaucoup de voyageurs, car tous les mordus d’aventures autour de moi ce terrible soir, avaient vécu le même genre de drame.  « Moi c’est quand j’étais au Laos »; « Il y a deux ans, alors que je venais d’arriver en Thaïlande »…etc… Certains étaient rentrés sur le champ, d’autres non et avaient traîné leur malheur sur les routes. Certains croyaient en la réincarnation, d’autres au paradis, d’autres à une sorte d’énergie d’amour que les morts envoient quotidiennement aux vivants. Moi qui ne croit en rien d’autre que Dumbledore, ces discussions me laissaient de marbre, mais, les semaines passant, je me devais d’y revenir. Si ce foutu drame pouvait filer un coup de pouce à d’autres  vivant une situation similaire, il vaudrait mieux que j’en parle.

Je tenais à partager avec qui veut cette intuition formelle, ce conseil vital pour quiconque vit une perte en étant loin des siens. Rester ou rentrer, c’est une décision qui ne regarde que vous. Dans ces moments de désarroi total, où on ne se sent nulle part à sa place, écrasé par le chagrin, je crois qu’il faut suivre son instinct. Personne ne vous en voudra de continuer votre voyage, comme personne ne vous en voudra d’écourter votre aventure pour rentrer près des vôtres. On peut rendre hommage aux quatre coins du Monde, tant qu’on a de l’amour pour ses disparus, qu’on ne les oublie pas. On m’a dit de continuer le voyage, de profiter de ma chance, on m’a dit que c’est ce que tu aurais voulu. Pour nous pourtant, la réponse à cette question fut simple.

Alors, avec Pitch, on a commandé plusieurs bières, on a dormi un peu, on s’est levées, on a tant bien que mal mangées quelques fruits, et puis on est entrées dans la mer au levée du soleil, toutes habillées. Et là, l’eau jusqu’aux genoux, au milieu des bateaux de pêcheurs et sous le ciel brillant, on t’a dit au revoir. On a laissé ces deux jolies fleurs dériver en ta mémoire. Tout simplement. Je sais que là où tu es, ça t’a fait sourire.

Et puis on est rentré à la maison.

 

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Le temps passe, mais tu fais toujours parti des meilleurs voyageurs, quelque part ailleurs, dans ce Monde ou un autre, mon pote.

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6 réflexions sur “Faire son deuil à l’autre bout du Monde

  1. Très bel article, magnifiquement bien écrit …
    Je ne peux rien ajouter, tu as tout dit …
    Perso, en voyage cela ne m’est jamais arrivée …
    Mais en étant expatriée, ce qui peut être conclu comme un voyage de toute une vie, je sais que tôt ou tard j’y serais confrontée …
    Je pense que je me déplacerai … C’est sûr je ne suis qu’à 1400 km de ma terre natale en voiture, c’est peu comparé à un voyage au bout du monde … Mais je m’imagine que ne pas être là quand ça arrive, quand tout bascule … Ce n’est pas évident …
    Bref tout ça pour dire, merci pour cet article, pour ce sujet dont peu de personne ne parle.
    Et courage à toi !

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    1. Merci beaucoup. Oui, personnellement ça a toujours été une angoisse à chaque départ, mais y être confronté c’est encore autre chose. Ce qui compte c’est de se sentir bien dans ces choix, et si des gens se prennent la peine de juger, c’est que ce sont des imbéciles 😉

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  2. Très bel article, superbement écrit. Ca effectivement à beaucoup d’entre nous, voyageurs ou expatriés, et le fait d’être à l’autre bout du monde ne facilite pas les choses. Bon courage !

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  3. Salut Manon ! Comme tu le sais je suis expatriée aux US maintenant depuis quelques mois (bientôt 1 an, que temps file !) et cette situation est arrivée à Mathieu. Il a perdu son grand-père au mois de mai. Nous n’avons pas hésité et sommes rentrés pour vivre ce moment en famille mais parce que nous avons pu le faire ! Changement de billets en urgence, annulation de réunions au boulot, il a fallu réagir vite et les gens autour de nous ont été très compréhensifs ! Je partage ton avis sur le fait de suivre son instinct et j’ajouterais même qu’il faut s’efforcer de ne pas culpabiliser pour les choix que nous faisons mais les assumer et surtout en discuter avec notre entourage ! Belle journée.

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